Dans un rapport remis à l'administration Bush, l'organisation met en cause le rôle des médecins.
Le comité international de la Croix-Rouge (CICR) accuserait les Etats-Unis d'utiliser, dans le camp de prisonniers de Guantanamo Bay, à Cuba, des mesures de coercition psychologique et parfois physique "équivalentes à la torture", dans un rapport remis en juillet aux autorités américaines.
Ce rapport, dont la confidentialité est la contrepartie de l'accès aux prisonniers dont bénéficie la Croix-Rouge, a été rédigé après une visite effectuée au mois de juin par les représentants de l'organisation humanitaire dans la prison de la base navale américaine. Il a été transmis aux juristes de la Maison Blanche, du Pentagone, du département d'Etat et au commandant du camp, le général Jay Hood. Ses conclusions sont citées dans une note interne à l'administration, dont le New York Times a eu connaissance et dont il publie, mardi 30 novembre, les principaux extraits.
Selon le quotidien, le personnel médical de Guantanamo Bay aurait participé activement à la conduite des interrogatoires en communiquant aux interrogateurs des informations relatives à la santé mentale et aux points vulnérables des détenus. Ces informations médicales et psychologiques seraient, le plus souvent, recueillies par une équipe de sciences du comportement (BSCT), surnommée équipe Biscuit, et composée de psychologues et de spécialistes de la pression psychologique. Les dossiers médicaux des détenus seraient "littéralement ouverts" aux interrogateurs. La conséquence de cette "apparente intégration de l'accès au volet médical dans le système de coercition" est que les prisonniers n'ont plus confiance dans les médecins.
"UN SYSTÈME INTENTIONNEL"
Les représentants de la Croix-Rouge disent avoir trouvé, lors de leur visite, un système destiné à briser la volonté des détenus et à les rendre entièrement dépendants de leurs interrogateurs à travers "des actes humiliants, l'isolement, des températures extrêmes et l'usage de positions forcées". Ils jugent que les méthodes employées étaient nettement "plus perfectionnées et répressives" que ce dont ils avaient eu connaissance lors de visites précédentes. "La construction d'un tel système, dont l'objectif déclaré est la récolte de renseignements, ne peut être considéré autrement que comme un système intentionnel de traitement cruel, inhabituel et dégradant et une forme de torture", résume le rapport.
La mission de la Croix-Rouge affirme qu'outre l'exposition à des bruits ou de la musique très puissants et persistants, ou au froid prolongé, les prisonniers étaient parfois battus. Le New York Times indique avoir recueilli au mois d'octobre, indépendamment du rapport de la Croix-Rouge, des témoignages d'agents du renseignement et de militaires sur l'usage, de manière chronique, de pratiques "hautement abusives". L'une d'elle consiste à soumettre un prisonnier, en sous-vêtements, maintenu assis et pieds et mains entravés, à une lumière stroboscopique et à une violente musique de rap ou de rock diffusée par deux haut-parleurs rapprochés et à une climatisation poussée à fond.
Présent en permanence dans la base jusqu'en juillet 2002, le CICR envoie, depuis, des missions pour inspecter les conditions de vie au camp Delta, principal bâtiment de la prison militaire. Ce serait la première fois que la Croix-Rouge affirmerait en des termes aussi vigoureux que les pratiques physiques et psychologiques en vigueur à Guantanamo Bay s'apparentent à la torture. Le présent rapport fait référence à un précédant mémoire, datant de janvier 2003, demeuré secret, dans lequel la Croix-Rouge s'interrogeait sur un éventuel usage de "torture psychologique".
VIF DÉBAT INTERNE
Selon le New York Times, les conclusions de la mission, et en particulier l'implication de personnels médicaux, auraient soulevé un vif débat à la direction de la Croix-Rouge, une partie de ses dirigeants souhaitant que la préoccupation de l'organisation soit rendue publique ou qu'à tout le moins, elle affronte vivement l'administration américaine.
Mardi matin, à Genève, les responsables du Comité international de la Croix-Rouge étaient réunis en urgence pour décider comment réagir à l'article du New York Times. Ils devaient publier un communiqué en milieu de journée.