Mal de société ...
Depuis quelques temps déjà j'ai envie d'écrire sur le mal de société, ce malaise sourd qui gît gans la société actuelle.
Cette époque m'apparaît de plus en plus comme une époque de transition, comme cet entre-deux indécis qui décline faute de trouver l'énergie pour enfanter du radicalement nouveau. J'ai toujours vu dans l'histoire humaine une constance du scéma d'âge d'or et de déclin des civilisation : d'abord cette phase montante où elles se nourrissent dans l'expansion (territoriale comme culturelle) puis cette phase descendante où elles se complaisent dans leur faste et disolvent la cohésion qu'elles avaient maintenues jusqu'à l'apogée en nourrisant les ambitions individuelles; tant que les ambitions des hommes se tournent vers la convoitise d'un objet extérieur à leur groupe, ils s'associent pour créer une dynamique commune dans le but de s'emparer de cet objet. En revanche, lorsque la convoitise s'exerce au sein d'un groupe, ils forment des coalitions concurrentes et ennemies qui se déchirent et subdivisent indéfiniment (aussi longtemps que les territoires des indiens constituaient la convoitise, les états d'amérique de nord ont su s'associer pour s'étendre mais lorsque les indiens et les territoires furent conquis, les états se déchirèrent dans la guerre de sécession).
Maintenant j'entends par civisilisation une société avec sa philosophie dominante, sa culture propre relativement bien circonscrite; on peut difficilement parler de civilisation aujourd'hui alors que la culture, la philosophie sont globalisées dans un ensemble hétérogène et très hétéroclite. Pourtant il est indéniable que des identités continuent à coexister même si elle tendent à associer leur culture historique à une culture commune qui est celle du libéralisme économique. Cependant, on converge, je crois, vers un appauvrissement de ces identités historiques au profit d'une vision unique d'un capitalisme bâti sur un modèle unique et selon une loi essentielle : le profit.
C'est là que je reviens vers mon introduction où j'énonce le fait que lorsqu'une civilisation entre dans une logique de concurrences internes, elle s'achemine vers son déclin. Or aujourd'hui on considère la concurrence comme un moteur essentiel d'innovation et de progrés sur le plan économique; on peut constater que c'est loin d'être le cas au niveau social où on assiste toujours davantage à un fractionnement des populations sous l'égide de la logique d'entreprise : la mobilité qui autrefois était celle des peuples vers des territoires plus riches est aujourd'hui ramenée à la seule convoitise de l'individu astreint à une mobilité pour une rentabilité et compétitivité. Or je pense que ceci ne peut aboutir qu'à une "fragmentation", comme je le disais, du tissu social puisqu'on détache l'individu du tissu social pour le rattacher au marché du travail. Si encore on avait un corporatisme comme il a pu exister au moyen-âge on assisterait à une cohésion du groupe autour d'une entreprise commune, or aujourd'hui l'individu n'est plus admis au sein d'un corps de métier, d'une grande famille mais parachuté à une place de compétences où il est entièrement révocable et remplaçable par un individu possédant les mêmes compétences. L'individu devient un produit soumis comme tout autre produit aux caprices du marché, balloté de gauche à droite au gré des fluctuations financières.
Si ce système offre à l'entreprise l'assurance de toujours optimiser sa compétitivité en augmentant sa flexibilité (ce qu'elle ne peut que si elle est entièrement malléalbe et remodable, donc si chacune de ses composantes est entièrement remodelable), en revanche elle place l'individu dans une position d'isolement de la société : les professions où on est amené à constament devoir déménager infirment toute possibilité de s'implanter et s'investir dans le tissu social local.
La forte identité et appartenance culturelle qui imprégnaient le tissu social autrefois et lui donnait une relative cohésion autour de valeurs sociales communes est aujourd'hui totalement résorbée par le fait que l'individu est soustrait au groupe social pour devenir un grain de semoule dans le bol du marché du travail. L'entreprise devient le référentiel de l'organisation de la société et par conséquent, comme celle-ci elle-même tend à s'affranchir de toute appartenance au patrimoine d'un pays par une mondialisation de ses ambitions (la concurrence elle-même impose cette ambition sous peine de désuétude), chacun devient non plus l'élément d'un groupe social avec son identité culturelle mais un simple rouage de la grande mécanique mondiale économique.
On pourrait arguer qu'autrefois c'est l'expansion du commerce méditérannéen qui a abouti à ce que Venise, Florence et d'autres deviennent des villes à forte identité culturelle dont le faste traverse les siècles (encore que Venise tend à devenir aujourd'hui un vaste produit commercial pour touristes). Or autrefois on avait des entreprises familiales, un commerce nationalisé qui permettait d'associer le développement économique avec l'enrichissement du tissu social : l'identité culturelle s'imprégnait de l'enrichissement commercial et inversement.
Aujourd'hui les entreprises familiales sont peu à peu réduites par la logique de compétitivité qui induit le rachat systématique des plus petits par les plus grands et la fusion des concurrents. Et finalement les entreprises sont dirigées par des hommes qui eux-même sont soumis à une grande mobilité et n'ont de cesse de passer d'un conseil d'administration à l'autre. C'est une énorme machine impersonnelle qu'on tente de créer aujourd'hui, un système entièrement interchangeable qui se débarasse de toute singularité pour correspondre à la vision unique.
Comment, dès lors que la société est suspendu au souffle de ses entreprises, de ses champions économiques, peut-on encore croire qu'elle puisse créer une cohésion alors qu'elle s'attache de plus en plus à promouvoir la libre-entreprise et soumettre l'individu davantage à la loi du marché qu'à la loi sociale (la loi sociale elle-même est peu à peu jaugée à l'étalon de la loi économique) ?
Pour en revenir à présent à la notion de déclin, je pense qu'à partir du moment où la société elle-même ne travaille plus à une cohésion, que l'individu lui-même est soustrait à toute appartenance sociale, il y a nécessairement une fragmentation de la société. Or on constate que malgré tout la société semble relativement bien ficelée sans autoritarisme et sans idéologie marqués. Comment se fait-il que n'émergent pas alors fortement des formes virulentes d'indépendance alors que les libertés sont assez grandes pour les favoriser ?
Tout déclin de civilisation s'est amorcé il me semble par un affaiblissement de l'autorité centrale (étatique, impériale, etc.) au profit des ambitions individuelles de petits potentats avides de pouvoirs et de richesses. Des pouvoirs locaux se sont substitués progressivement au pouvoir central qui finalement (comme dans l'empire romain) leur a cédé l'indépendance officiellement ou officieusement. Pourquoi cette démission de l'autorité centrale. Parce qu'après des années où les convoistises ne se sont plus tournées vers l'extérieures mais concentrées à l'intérieur, le pouvoir a été peu à peu conquis par les moins scrupuleux et les plus avides, agissant selon l'intérêt personnel plutôt que commun.
Or la différence entre une civilisation dont le pouvoir est ainsi corrompu par les ambitions inviduelles et celui qui ne l'est pas c'est que le second s'appuie sur l'intérêt commun et le premier l'intérêt particulier; le second agira dans le sens d'une cohésion sociale, le second dans le sens d'un enrichissement individuel maximal. Le second ne pourra maintenir la cohésion qu'au travers d'une identité culturelle forte à laquelle il identifie chaque individu tandis que le second dressera les uns contre les autres pour mieux règner et intriguer. Le déclin s'ammorce au moment où cette corruption gagne l'ensemble de la société et amène à son éclatement progressif puis à son absorbtion finale par une nouvelle civilisation née à partir d'une nouvelle idéologie forte qui ramène à l'établissement d'un pouvoir cohésif.
Aujourd'hui on ne peut se placer dans aucun des deux cas de figure puisque nous sommes loin du schéma des civilisations d'autrefois, nous sommes dans une société étendue à toute la planète et qui n'obéit pas à une unique autorité centrale mais à toute un entrelac d'organismes régulateurs. Cette société mêle l'idéologie à la corruption, la dissociation à la cohésion.
Ce qui résulte de ces paradoxes c'est la société actuelle est en constante déclin mais selon une dynamique de progrès. Le tissu social est saccagé tandis la cohésion et cohérence économique est renforcée. Je pense que c'est pour cette raison qu'il n'y a pas d'émergence de contestation forte, parce que l'individu est à la fois entretenu par ses intérêts et son confort personnels qu'il semble pouvoir augmenter à souhait pourvu qu'il en ait l'ambition et, d'autre part, il se retrouve socialement isolé.
Pour finir cette réflexion et conclure, je dirais que ce paradoxe conduit à avoir une population qui devient toujours plus individualiste d'une part et d'autre part à une toujours plus grande solitude sociale compensée par l'appartenance à des groupes de consommation : on tronque l'appartenance culturelle par l'adhésion à des groupes de consommateurs (on se retrouve davantage autour de produits de consommation qu'autour d'une identité culturelle commune). Il y a une conscience collective de cet appauvrissement du tissu social puisque la solitude morale et intellectuelle est toujours plus grande et plus présente dans l'expression des uns et des autres et dans les thèmes de la presse et des feuilletons. Il y a des tentatives de rassemblement dans des clubs, des associations, des groupes de réflexion, des manifestations mais on se rend compte qu'il manque à tous ces efforts une véritable âme qui puisse leur donner de la vitalité, une dynamique forte; parfois une telle dynamique est initiée mais est vite dévorée par les avidités et frustrations inviduelles pour être finalement prostituées à la loi vorace du marché.
La question qui se pose au final est : où va-t-on ? Je serais tenté de dire qu'on va vers le Far West, la jungle urbaine, la loi de la contingence, une société totalement hétéroclite et extrêmement chaotique où les dynamiques naissent, meurent et s'opposent librement comme dans une vaste arène où la loi qui prévaudra toujours au final sera celle du moins scrupuleux ou du plus fanatique. Vouloir astreindre l'homme à une obéissance scrupuleuse trop longtemps, en bridant son avidité, c'est nourrir une frustration extrêmement dangereuse et destructrice comme celle qui a conduit à l'attentat meurtrier et idéologique d'Oklahoma City où Timothy Mc Veigh a tué 168 personnes à la bombe dans un immeube fédéral. On nourrit une violence larvée dont je n'ose pas imaginer les conséquences si elle vient à déborder un jour.
à 19:58